Série de séminaires CLIMACT 2021-2022
Modélisation
Hydro-climatologie

Quels sont les enjeux et les particularités climatiques en montagne ?

Posté le 25 août 2022

Auteur·e·s

Dr.
Dr. Judith Eeckman

Institut de Géographie et de Durabilité (IGD), UNIL

Quels sont les enjeux et les particularités climatiques en montagne ?

Cet article fait écho à la présentation « Variabilité climatique en montagne – Enjeux et particularités » donnée par Dr. Eeckman dans le cadre des CLIMACT Seminar Series.

Vous avez comparé les Alpes et l’Himalaya népalais : quel était l’intérêt pour vous de faire cette comparaison et quelle était votre problématique de recherche de départ ?

JE : J’ai fait ma thèse de doctorat sur des bassins versants situés en Himalaya et en ce moment je travaille sur les Alpes. Les problématiques sont assez proches, dans les deux cas je fais de l’hydrologie sur des cours d’eau à l’échelle locale. Cela m’a permis, dans cette courte présentation, d’exposer mes deux terrains d’études en parallèle.

Ma problématique de recherche porte sur le risque de sécheresse dans les Alpes vaudoises, et en particulier l’infiltration de la fonte de la neige qui conditionne en partie la disponibilité en eau en période de basses eaux. La neige de cet hiver a fondu très tôt et c’est un vrai enjeu. D’une part, il y a de moins en moins de neige et d’autre part, elle fond plus tôt, ce qui dérègle tout le cycle hydrologique.

À quelle conclusion êtes-vous arrivée ? 

JE : Puisque je travaille encore sur l’analyse des données, je ne peux pas encore donner de conclusion finale. D’autre part, dans la recherche, arriver à une conclusion signifie souvent arriver à une nouvelle question. L’enjeu principal de mes recherches en ce moment est de quantifier le temps de stockage de l’eau dans le sol. En général, en montagne, les sols sont très peu épais (maximum 30-40 cm) et très pentus. Dans les modèles hydrologiques, on considère habituellement que l’eau de pluie et de fonte ruisselle principalement à la surface plutôt que de s’infiltrer dans les sols. L’infiltration dans les sols de montagne n’est pas très bien modélisée. Les sous-sols en montagne peuvent être des anciens éboulements très hétérogènes et chahutés ou de très anciennes moraines de glaciers sur lesquelles des sols se sont développés. A l’intérieur de celles-ci, il y a des macro-pores (énormes trous) pouvant stocker beaucoup d’eau. A la fin de ma thèse, j’ai estimé avec beaucoup d’incertitudes qu’il peut y avoir jusqu’à trois à quatre mois de stockage dans le sol, pour des petits bassins. Mais en Himalaya, la climatologie est différente de nos régions à cause des moussons. Cette valeur de temps de stockage ne peut donc pas directement être appliquée pour des bassins versants situés en Suisse.

Ces stockages sont une sorte de réserve et pourraient nous tirer de situations difficiles. Le problème en ce moment est que la fonte de la neige se produisant très tôt, le niveau des rivières est déjà bas en début d’été. Ces étiages (niveau de très basses eaux dans les rivières) sont en plus accentués par les manques de pluies et fortes chaleurs durant l’été, comme ce que nous sommes en train de vivre cette année.

Les stockages de l’eau de fonte dans les sols, qui s’exfiltrent peu à peu vers les rivières, peut alors être notre « carte survie » pour assurer des niveaux minimaux en été. Mais pour savoir si l’on peut vraiment compter sur eux, il faut les étudier pour bien comprendre comment ils fonctionnent.

Que signifie « période de stress hydrique » ?

JE : C’est une période où il y a une faible disponibilité en eau et simultanément une forte demande, ce qui génère un stress. La forte demande peut provenir de la végétation (forte demande en eau par exemple au printemps avec la pousse des feuilles) ou bien des besoins humains, notamment pour l’agriculture et le tourisme. La fin de l’été peut être une période de stress hydrique en Occident car c’est une période de basses eaux.

Avoir des périodes de basses eaux est un principe du cycle annuel, même les arbres sont adaptés à cela. En automne, ceux-ci profitent de rejeter dans le sol l’eau qu’ils contiennent pour ne pas geler pendant l’hiver.

Avec le réchauffement climatique, ce phénomène s’intensifie, car il y a moins d’eau disponible sur les périodes de basses eaux, que ce soit dans le sol ou dans les rivières. La demande est la même en ce qui concerne la végétation. Mais les étés sont plus chauds, il y a plus d’évaporation et les arbres vont puiser encore davantage. Il y aura globalement moins d’eau en été (cela peut varier localement) et il y aura plus d’évaporation. En ce qui concerne la demande humaine, on est de plus en plus nombreux, et c’est exponentiel. La demande est croissante.

La conséquence d’un prélèvement trop fort par rapport à la disponibilité, c’est le manque d’eau et cela peut mener à des sécheresses. Il y a trois types de sécheresses assez différents : climatologiques, hydrologiques et agronomiques. Les sécheresses provoquant le tarissement de l’eau dans les rivières a plusieurs impacts très directs sur les prélèvements dans les cours d’eau (eau potable ou eau pour l’agriculture) mais aussi sur l’hydroélectricité. Les sécheresses qui provoquent le tarissement de l’eau dans les sols sont liées à la végétation, car celle-ci prélève beaucoup de son alimentation en eau dans les sols, surtout en l’absence de pluies.

Quelles sont les ressemblances et les différences actuelles entre les Alpes suisses et l’Himalaya népalais ? 

JE : Les périodes de stress dans les Alpes et en Himalaya sont complètement différentes. Dans les Alpes, c’est plutôt à la fin de l’été, début de l’automne. En Himalaya, c’est plutôt à la fin de l’hiver. Ce n’est pas dû à la température, mais au fait que ce sont des dynamiques différentes. Les hivers sont très secs en Himalaya alors que l’été est humide. En Occident, on a des hivers globalement plus humides. En fin d’hiver en Himalaya, si le dégel n’arrive pas ou pas au bon moment, il n’y a plus d’eau dans les sols. Le dégel et la fonte vont équilibrer le fait qu’il n’y a pas de pluie depuis plusieurs mois.

Au Népal, il y a aussi du tourisme de masse. Il s’agit souvent d’Occidentaux habitués à avoir de l’eau à profusion et à prendre des douches chaudes pendant des dizaines de minutes par exemple. Les mois d’avril et mai sont des mois très touristiques car il s’agit des périodes les plus clémentes. Ce sont cependant des périodes où il y a le moins d’eau, car c’est la fin de l’hiver. Il n’y a pas eu de précipitations depuis plusieurs mois et le fait que le dégel se produise de manière synchronisée par rapport au tourisme est alors primordial.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le schéma des températures que vous avez présenté ?
Plateau tibétain (légende: rouge >6 , bleu<-6)

Plateau tibétain (légende: rouge >6 , bleu<-6)

Europe centrale et occidentale (légende: rouge >6 , bleu<-6)

Europe centrale et occidentale (légende: rouge >6 , bleu<-6)

JE : Ces deux diagrammes sont issus du sixième rapport du GIEC (publié le 4 avril 2022 ndlr). On y voit l’évolution des températures mensuelles depuis 1950 pour deux grandes régions géographiques définies dans le rapport : le plateau tibétain et l’Europe « centrale et occidentale ». Chaque ligne correspond à un mois, et les colonnes sont des années. On observe que les diagrammes sont de plus en plus rouges, ce qui veut dire que les températures mensuelles augmentent globalement.

Pour les montagnes européennes, le réchauffement s’intensifie en été. On a des vagues de chaleur de plus en plus importantes et des canicules de plus en plus fréquentes.

Sur le plateau tibétain, le réchauffement n’a pas lieu en été à cause de la mousson. Les pluies viennent contrebalancer le réchauffement. Mais c’est en hiver que le climat se réchauffe beaucoup. Les hivers sont de plus en plus chauds au Népal. Mais le point commun entre ces deux régions est que l’on observe un réchauffement important des premiers mois de l’années (janvier à mars), qui sont, comme nous l’avons vu avant, les mois cruciaux en ce qui concerne la fonte de la neige.

Vous expliquez dans les grandes lignes qu’en juillet et en août, on a une baisse des précipitations en Suisse et à l’inverse, en Himalaya, il y a une augmentation durant ces deux mois et une baisse en juin et septembre. Quelles sont les conséquences pour chacune des deux régions à court et moyen terme ?

JE : En Suisse, il y a globalement une diminution des pluies en été. La Suisse est assez « chanceuse », car ce n’est pas l’endroit le plus affecté par les sécheresses estivales. Mais MétéoSuisse trace tout de même des tendances de précipitations qui diminuent en été, avec comme conséquence, la sécheresse estivale.

Au Népal et les régions touchées par les moussons asiatiques, on observe une augmentation de l’intensité de la mousson : davantage de pluie en un laps de temps plus court. Cela va énormément perturber le cycle hydrologique avec pour résultat des pluies très fortes. Cela augmentera le risque de crues, d’éboulements et de laves torrentielles et par conséquent l’effet de stress hydrique expliqué plus haut. En mars-avril, on attend de la pluie et l’idéal serait qu’à partir de mai, il commence à pleuvoir petit à petit pour arroser les champs, remplir les rivières et faire des stocks. Ce n’est plus ce qui va se passer à l’avenir : il y a une période de stress hydrique qui va s’allonger et s’étendre jusqu’à l’arrivée de la mousson.

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Au sujet de l'auteure:

Judith Eeckman est chercheuse post-doctorale en hydro-climatologie à l’Institut de Géographie et de Durabilité (IGD) de l’Université de Lausanne. Dr. Eeckman a obtenu un diplôme d’ingénieur en mathématiques appliquées et en informatique et un Master en géographie physique.

Dans le cadre de son poste de première assistante à l’IGD, Dr. Eeckman mène des recherches sur la caractérisation du risque de sécheresse à l’échelle des Alpes vaudoises, ainsi que sur la spécificité des territoires de montagne face à ce risque. Par son parcours professionnel, elle possède de solides compétences en modélisation hydro-climatique, programmation, statistiques, gestion de données, ainsi qu’en cartographie et aménagement du territoire. Elle est également passionnée de montagne.

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