GIEC
Traités climatiques internationaux

Ce que signifie un réchauffement de 1,5°C pour la Suisse et le monde

Article publié dans Swissinfo avec la participation de Samuel Jaccard, expert en sédimentologie paléoclimatique et co-directeur académique CLIMACT

Posté le 4 mars 2024

Expert·e·s

Prof.
Prof. Samuel Jaccard

Professeur associé en sédimentologie paléoclimatique
FGSE, UNIL

Ce que signifie un réchauffement de 1,5°C pour la Suisse et le monde

Pour la première fois, la planète a dépassé sur douze mois consécutifs la barre de 1,5°C de réchauffement par rapport à l'ère pré-industrielle. Voici pourquoi cette limite est importante et quelles seront les conséquences de son dépassement pour la vie sur Terre et en Suisse, pays déjà fortement touché par la hausse des températures.

Entre février 2023 et janvier 2024, la température mondiale de l’air à la surface du monde a été de 1,52°C supérieure à la période 1850-1900, selon les données de l’observatoire européen Copernicus.

Les températures devraient encore augmenter en 2024, non seulement en raison des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, mais aussi à cause d’El Niño, un phénomène climatique cyclique qui provoque un réchauffement spectaculaire des eaux de l’océan Pacifique.

Pourquoi l’augmentation de la température de la Terre devrait-elle être limitée à 1,5°C et quels seraient les impacts d’un réchauffement plus important? Les réponses de spécialistes.

D’où vient la limite de 1,5°C?

En 2015, presque tous les pays du monde – y compris la Suisse – ont signé l’Accord de Paris sur le climat, le premier traité universel et juridiquement contraignant visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les États ont fixé pour objectif de limiter le réchauffement moyen de la planète «bien en dessous de 2°C» par rapport aux niveaux préindustriels (qui se basent sur la moyenne de la période 1850-1900), en visant une augmentation maximale de 1,5°C.

La barre des 2°C découle d’un certain nombre d’études scientifiques, dont certaines remontent aux années 1970, selon lesquelles un réchauffement climatique accru entraînerait une situation sans précédent pour la civilisation humaine. Les conséquences seraient non seulement néfastes pour la faune et la flore, mais aussi catastrophiques pour les êtres humains. Les nations ont officiellement adopté la limite de 2°C lors de la conférence de Cancún sur le changement climatique en 2010, considérant qu’il s’agissait d’un objectif ambitieux, mais à portée de main.

Toutefois, les années suivantes, les pays les plus vulnérables au changement climatique, en particulier les petits États insulaires, ont demandé une révision de cet objectif, arguant que des perturbations insoutenables seraient possibles avant même que le seuil de 2°C ne soit atteint. En 2015, sur la base des dernières données scientifiques disponibles, la limite de sécurité a été abaissée à 1,5 °C.

Pourquoi considère-t-on déjà 1,5°C comme un seuil critique?

Un rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en 2018 a souligné l’importance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C pour préserver l’intégrité du système climatique et réduire les risques liés à la hausse des températures.

Selon Johan Rockström, directeur de l’Institut pour la recherche sur l’impact du climat de Potsdam, l’objectif de 1,5°C n’est pas comparable aux objectifs fixés dans le cadre d’autres négociations politiques, qui peuvent faire l’objet de compromis. Une augmentation de 1,5°C n’est pas un chiffre arbitraire ou politique, c’est une limite planétaire, a-t-il déclaré au quotidien britannique The Guardian.

Cela ne veut pas dire que le dépassement de ce seuil, ne serait-ce que d’un dixième de degré, signifiera la fin du monde. Toutefois, en limitant autant que possible le réchauffement de la planète, nous pouvons réduire la probabilité de changements irréversibles du climat et donc de la planète.

Un réchauffement de 1,5°C est préférable à un réchauffement de 1,6°C et chaque dixième de degré évité réduit le risque de nous rapprocher de points de non-retour, comme la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental, souligne Sonia Seneviratne, climatologue et professeure à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Dépasser 1,5°C signifie-t-il manquer l’un des deux objectifs de l’accord de Paris?

Ce seuil a déjà été dépassé à plusieurs reprises, mais pour des périodes limitées (quelques jours ou semaines). En 2023, près de la moitié des jours ont été plus chauds de 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Pendant deux jours en novembre, le réchauffement a même dépassé les 2°C pour la première fois depuis que des mesures existent.

Même si le 1,5°C est effectivement dépassé sur une base annuelle en 2024, il ne sera pas question de non-respect de l’Accord de Paris, souligne le système européen de surveillance du climat par satellite Copernicus. Les objectifs du traité international se réfèrent en effet à une période de 20 ans et, selon les scénarios les plus probables du GIEC, le moment du dépassement officiel des 1,5°C – calculé comme le milieu de cette période de 20 ans – se produira dans la première moitié des années 2030.

Quelles sont les conséquences d’un réchauffement de 1,5°C?

Les émissions doivent être réduites de manière drastique si l’on veut maintenir l’objectif de 1,5°C. D’ici à 2030, elles devront diminuer de 43% par rapport aux niveaux de 2019, selon les estimations du GIEC.

Dans le cas contraire, les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les sécheresses et les fortes précipitations seront plus fréquents. Par exemple, la fréquence des vagues de chaleur extrêmes, c’est-à-dire celles qui se produisaient une fois tous les 50 ans à la fin du 19e siècle, augmente de près de neuf fois dans un scénario de +1,5°C.

Ces événements exceptionnels et ces catastrophes naturelles feront de plus en plus de victimes dans le monde et entraîneront une perte de biodiversité. Ils réduiront également les récoltes et pousseront de plus en plus de personnes à migrer vers des terres plus fertiles, à l’abri de la montée des eaux.

L’infographie suivante illustre les effets sur la population et les écosystèmes d’un réchauffement planétaire de respectivement 1,5 et 2 degrés Celsius.

Quelles sont les conséquences pour la Suisse?

La Suisse est déjà fortement touchée par le changement climatique, avec de longues périodes chaudes et sèches en été, la fonte inexorable des glaciers et des hivers pauvres en neige. Ces dernières années, le pays a connu «une anticipation des phénomènes extrêmes qui pourraient s’aggraver et se généraliser dans un avenir proche», selon Erich Fischer, chercheur à l’Institut des sciences de l’atmosphère et du climat de l’EPFZ et co-auteur des rapports du GIEC.

La Suisse se caractérise par un climat continental et ne peut pas bénéficier de l’effet refroidissant des océans. Elle est également située à des latitudes moyennes. En général, les régions situées vers les pôles se réchauffent plus que celles situées à l’équateur. La neige et la glace jouent également un rôle: lorsqu’elles fondent, la surface exposée réfléchit moins la lumière du soleil et absorbe plus de chaleur, ce qui contribue à l’augmentation des températures.

En Suisse, le seuil de 1,5°C a déjà été dépassé au début du nouveau millénaire et le réchauffement moyen pour la période 2013-2022 a été de 2,5°C, soit près du double de la moyenne mondiale, selon l’Office fédéral de météorologie et de climatologie.

Un réchauffement global de 1,5°C correspondrait approximativement à +3°C en Suisse. Dans ce scénario, la fonte des glaciers alpins s’accélérera et il y aura moins de neige à basse altitude. En général, il pleuvra moins en été – lorsque l’agriculture a le plus besoin d’eau – et plus en hiver, explique Samuel Jaccard de l’Université de Lausanne.

Tout le monde a déjà connu des événements climatiques extrêmes, qu’il s’agisse d’une canicule ou d’une tempête dévastatrice, comme celle qui a frappé La Chaux-de-Fonds en juillet dernier, explique Samuel Jaccard. «Avec la multiplication de ces événements extrêmes, nous commençons à voir des impacts mesurables et tangibles sur la vie de tous les jours». Le scientifique fait référence, par exemple, à l’augmentation de la mortalité lors des canicules ou à l’augmentation du prix de certains aliments en raison de la sécheresse.

Cependant, il n’est pas trop tard pour éviter le pire des scénarios. Dans son dernier rapport de synthèse, le GIEC souligne qu’il existe de nombreuses options «réalisables et efficaces» pour réduire les émissions et garantir un avenir vivable sur Terre.

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